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Architecture & Design

Vacheron Constantin - Pour l’Amour des Métiers d’Arts

Datant de 1755, Vacheron Constantin n’a pas attendu que les métiers d’art, le style intemporel et l’importance des collectionneurs soient sur toutes les lèvres pour s’y intéresser. Ces composantes font partie intégrante de l’ADN de la marque…depuis toujours. Plongée dans les coulisses de l’une des manufactures horlogères les plus iconiques.

Par Benjamin Teisseire
Contributeur

Toute l’équipe Watchonista arrive enjouée par ce matin automnal devant le superbe bâtiment de Bernard Tschumi. Les courbes douces d’acier extérieures sont renforcées par le côté chaleureux du bois de l’intérieur. L’ambiance est feutrée, calme…mais nous sommes excités comme des enfants car nous allons passer la journée au coeur de Vacheron Constantin. En commençant par l’atelier des Métiers d’Art.
 

L’art du sertissage

Nous entrons dans un atelier ultra-moderne, baigné de lumière où règne un calme absolu. C’est ici que Vacheron Constantin réalise en interne toutes ses pièces Métiers d’Art : sertissage, émaillage, gravure. Nous sommes accueillis par Gérard, maître sertisseur. Cela fait 43 ans qu’il perfectionne son art. Ce qui frappe immédiatement, c’est la passion qui l’habite. Ses yeux pétillent à mesure qu’il raconte les étapes de son travail, les différentes techniques utilisées, les difficultés qu’il rencontre. Rien ne le motive plus que les défis complexes pour lesquels il doit redoubler de créativité pour réussir à obtenir le rendu souhaité.
 

Ce sont souvent des pièces uniques commandées par les clients de la maison. Il nous explique comment il prépare le champlevé sur les platines, crée les volumes puis procède au « mitraillage » (perçage des creux) avec un burin, une échoppe ou une fraise. Comment a-t-il appris ces techniques de serti invisible ou de serti neige ? Son père joaillier lui a mis la main à l’établi, puis c’est la passion qui s’est emparée de lui pour acquérir ses techniques quasi secrètes transmises de la main du maître à la main de l’apprenti. Il faut 4 ans pour commencer à assimiler la théorie. Au moins autant pour acquérir la confiance dans le geste, nécessaire pour travailler sur des pièces compliquées. Il travaille avec une précision de l’ordre du 100ème On pourrait l’écouter des heures...mais nous avons tant à voir.
 

L’amour de la gravure

Nous rencontrons Emmanuelle qui travaille sur Les Aérostiers, les créations Métiers d’Art de Vacheron Constantin en 2018. Elle sort de la prestigieuse école Boulle de Paris où elle a pu parfaire ses techniques aussi bien de dessin que de gravure pendant 5 ans. Cela fait 10 ans qu’elle est spécialisée dans la gravure. Elle nous confirme que c’est le temps minimum pour commencer à maîtriser cet art si fin. Elle excelle dans la taille-douce mais aussi dans la gravure en champlevé ou en ramolayé. Elle exécute des bas-reliefs comme autant de mini-sculptures. Elle burine, elle lime, elle polit. Elle modèle la matière à sa guise. Avec une précision époustouflante.
 


En effet, aucun défaut, ni reprise n’est possible dans le domaine de l’infiniment petit qui est le sien. En toute humilité - un trait de caractère commun à tous ces artistes de la décoration - elle avoue qu’avec le temps la main devient de plus en plus stable, mais qu’il lui faut parfois arrêter de respirer pour réussir à tracer son motif à la perfection. On comprend rapidement que le geste, extrêmement difficile, s’acquiert avec la pratique, mais que le talent est primordial. Chaque graveur doit inventer des techniques, voire des outils, pour arriver au rendu désiré, pour donner vie au modèle. Car tout part d’un dessin en 2D auquel il va falloir donner du volume. Créer des arrondis, jouer avec les finitions mats et polies, ciseler une multitude de détails.
 

Tout demande une créativité de chaque instant. Le plus difficile selon notre artiste gracieuse ? Créer des expressions de visages humains ou de gueules d’animaux. Le moindre dérapage change totalement l’émotion transcrite. Au fil des exemples qu’elle dévoile, l’émerveillement s’accentue devant le rendu des textures : des tissus, des pelages, des écailles, des nuages, des muscles saillants. C’est fascinant ! Elle nous confie qu’elle adore le fait qu’il n’existe pas de livres d’apprentissage. Seule l’expérience et la créativité permettent d’atteindre l’excellence. Ce qu’elle aime le plus ? Quand les Métiers d’Art s’interpénètrent, car les techniques doivent se compléter, se sublimer les unes les autres.
 

La passion de l’émaillage

C’est Laurent, Maître émailleur, qui nous accueille à son tour à son atelier. Il a commencé à 17 ans. Cela fait 40 ans qu’il perfectionne ses techniques de l’émail. Pour lui, c’est un art subtil car il comprendra toujours une part d’incertitude liée à la physique et à la chimie des réactions à la cuisson. L’influence externe des multiples passages au four à 850°C est complexe à maîtriser, voire impossible. L’expérience – là encore, irremplaçable – permet de limiter les pertes au travers d’une connaissance précises des températures et des temps de cuisson. Mais la micro-bulle est toujours possible. On marche donc sur des œufs avec l’émaillage. Laurent nous dévoile les 5 grandes techniques que l’on retrouve dans cet art ancien : le champlevé et le cloisonné qui remontent bien avant le Moyen-Âge européen ; l’émail peint et la grisaille qui datent du 16ème siècle ; le plique-à-jour. Il travaille sur un émail grisaille et nous dévoile tout le travail minutieux que cela représente. Le travail s’effectue en négatif sur un fond en émail noir. Il utilise une peinture spéciale en blanc de Limoges, très fine, avec très peu de pigments, mélangée à de l’huile qui va s’évaporer lors de la cuisson. À l’aide d’un micro pinceau, il crée des dégradés de très blanc à très gris. Il joue sur les ombres et lumières pour faire ressortir le dessin. Il va superposer X nombres de couches pour obtenir la texture recherchée – avec une cuisson après chaque couche ! Un travail de longue haleine puisqu’il peut durer jusqu’à deux mois et demi. Les maîtres-mots sont dans cet atelier : patience, passion et créativité.
 

Le temple du guillochage

Les yeux encore écarquillés d’admiration devant les merveilles vues, nous pénétrons à présent dans une autre salle entièrement dédiée à l’art du guilloché. Une machine de 1950 sert pour les motifs circulaires ; une autre datant de 1929 est utilisée pour les motifs droits ; la dernière, de 1900, permet toutes les folies. Supachai, le Maître guillocheur de la manufacture, nous explique immédiatement qu’« aucune machine moderne n’arrive à donner un rendu aussi beau, aussi précis et profond ». Il a 26 ans d’expérience dans son art, malgré son jeune âge. C’est lui qui a fait venir cette machine d’un autre temps dans la manufacture. Il y a tout de suite vue des potentialités insoupçonnées. Il fut le premier à relever le défi de créer une carte du monde en guilloché qui donna naissance au premier garde-temps au monde avec une telle représentation. Ensuite, il s’est mis à tester des techniques pour créer des fleurs, puis des animaux, puis des visages humains. Le guilloché est désormais figuratif chez Vacheron Constantin. La créativité n’a pas de limite. Et quelle technique ! Il s’installe à sa machine pour que l’on comprenne le principe. La main gauche donne la vitesse, la droite exerce une pression pour imprimer le motif. Le geste doit être précis et réalisé d’un seul trait ; la vitesse et la pression doivent rester constantes. Il faut une dextérité, un calme, une précision hors normes. Nous le regardons faire, ébahis. Seul le bruit sourd et mat des rouages emplit l’air, entrecoupé par le ‘criquet’ qui annonce le prochain dessin. La concentration est maximale, le rythme régulier : on entre en méditation ! Nous sommes en présence d’un génie de son art. Christian Selmoni, directeur du Style et du Patrimoine de la Maison, le dit lui-même : « Supachai est stratoshérique » ! Et d’une humilité confondante.
 

Dans ces Métiers d’Art si complexes, Vacheron Constantin a la chance incroyable d’avoir, en son sein propre, des artisans – « artistes » me semble plus approprié – passionnés qui excellent dans leur art, sont avides de parfaire sans cesse leurs techniques et de transmettre leur passion au travers de leurs réalisations. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’au travers ce travail délicat, chaque pièce réalisée à la main est unique, imprégnée des heures de labeur de chacun, de leur créativité personnelle et de leur expertise. Notre visite ne donne qu’un petit aperçu de cette excellence qui est seule apte à générer les émotions que procurent les créations des Métiers d’Art de la vénérable Manufacture Genevoise.

(Photographies par Pierre Vogel)

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